(D'après un article paru en 1842)
L'amiral Jules Dumont d'Urville naquit le 23
mai 1790, à Condé-sur-Noireau, petite ville du Calvados, arrondissement
de Vire, sur la limite du département de l'Orne. Sa famille y était
l'objet d'une considération marquée due à de longs et honorables
services dans la magistrature ; son père exerçait la charge de
bailli de haute justice.
Par alliance, il se rattachait à la
meilleure noblesse de Normandie, madame d'Urville étant de l'ancienne
famille de Croisille. Quant à son titre nobiliaire, il était dû à la
possession d'un fief dont un de ses aïeux avait fait l'acquisition. Ce
marin, qui s'était si largement développé au souffle des vents de l'Océan,
n'était à ses premiers jours qu'un malingre et chétif enfant que sa mère
n'espérait pas conserver, et qui ne dut en effet la vie qu'à de tendres
et incessantes préoccupations : aussi fut-ce toujours pour lui
presque un culte que le souvenir de cette excellente femme qui guida ses
premiers pas et ses premiers sentiments ; il aimait aussi à se
rappeler tout ce qu'il devait aux soins de ses soeurs et surtout de la
cadette, aimable jeune fille dont les pensées de chaque instant étaient
pour son frère.
A l'époque où la Révolution vint renverser
les institutions de la vieille monarchie française, M. d'Urville père,
destitué de ses fonctions de bailli, vint se fixer avec sa famille sur
les bords de l'Orne, à deux lieues de Caen : l'enfant avait cinq ans ;
à sept, il perdit son père au moment où il allait en avoir le plus
besoin. Heureusement sa mère veillait sur lui. Quelques amis de la maison
lui enseignèrent les rudiments premiers de l'étude ; un de ses
oncles se chargea ensuite de son éducation avec plus de zèle peut-être
que d'aptitude pour une tâche si difficile.
En peu de temps, de tous les livres que lui a
laissés son père, il n'y en a pas un qu'il n'ait lu plusieurs fois ;
l'ouvrage du jésuite, les annales des Hébreux, il les sait par coeur.
L'ennui le prend ; mais sa mère est encore là ; c'est elle qui
va fournir un nouvel aliment à ses pensées. Un jour, elle lui apporte
quelques livres, entre autres l'Histoire de l'Amérique,
de Robertson.
Depuis ce jour, l'avenir du jeune homme est
fixé ; la gloire de Colomb l'enivre et ne le laisse plus dormir. Sur
les bancs du lycée de Caen, dont il est un des meilleurs élèves, il
pense sans cesse à ce grand homme, à cette vie si pure, à ce dévouement
si admirable. Ce fut sous l'influence de ces idées qu'à sa sortie du
collège il fit connaître à sa mère le parti bien arrêté qu'il avait
pris d'entrer dans la marine. On le fit donc admettre parmi les aspirants.
Ce corps était alors composé d'une manière
déplorable. La grande tourmente révolutionnaire avait dispersé au loin
tous les éléments qui jadis étaient appelés à le composer. On avait
été obligé d'y recevoir beaucoup de jeunes gens que leurs habitudes
grossières et leur peu d'instruction en eussent éloignés à toute autre
époque. Jeté au milieu de ce monde rude et vicieux avec lequel il ne
pouvait harmoniser, Dumont d'Urville eut beaucoup à souffrir pendant
toute la durée de son noviciat. Enfin, le 28 juin 1812, il obtint
son brevet d'enseigne de vaisseau.
Plusieurs années s'écoulèrent durant
lesquelles il consacra tout le temps que lui laissait son service aux
sciences et aux lettres, se préparant ainsi par de fortes études à
l'avenir qu'il avait rêvé. Cette direction donnée à son esprit ne
pouvait rester longtemps sans amener d'utiles résultats.
Vers la fin de 1818, le gouvernement se décida
à faire exécuter dans la mer Noire et la partie orientale de la Méditerranée
un travail hydrographique. La direction en fut confiée à M. le
capitaine Gautier, qui, désireux de donner à son travail toute sa
perfection, s'adjoignit de jeunes officiers de mérite, et appela entre
autres Dumont d'Urville à partager ses travaux : c'était au mois de
mars 1819. Outre les observations nautiques et astronomiques qu'il
partageait avec ses compagnons, le jeune officier, revenant aux goûts de
son enfance, se livrait aussi à diverses recherches d'histoire naturelle
et d'archéologie. Ce voyage au milieu des plus belles contrées, au
centre de l'ancien monde historique, fut pour lui d'un grand prix. Appelé
à Paris en décembre 1820, à la suite du commandant de l'expédition, le
ministère le jugea digne de recevoir le brevet de lieutenant de vaisseau,
qui lui fut délivré au mois d'août 1821.
En 1822, Dumont d'Urville partit de Toulon
sur La Coquille en tant que commandant en second, avec Louis
Isidore Duperrey comme commandant. Il eut la responsabilité spécifique
des investigations botaniques de l'expédition, et entreprit également
des études d'entomologie. Pendant ce voyage, qui dura 31 mois, La Coquille
parcourut 73 000 milles et franchit l'équateur six fois. Il fut
de retour à Toulon le 24 mars 1825.
Le 25 avril 1826, alors qu'il avait été
promu au rang de commandant, il partit de Toulon pour un autre voyage qui
devait encore le mener en Nouvelle Zélande. Son vaisseau, La Coquille,
avait été renommé l'Astrolabe. Le but principal de ce voyage
consistait à explorer les îles du Pacifique sud et à entreprendre des
investigations scientifiques. Dumont d'Urville avait été également
chargé par l'amirauté de visiter les régions où les bateaux commandés
par le comte de La Pérouse avaient disparu en 1788. Des reliques furent
trouvées à Vanikoro, en février 1828. L'Astrolabe revint le 25 mars
1829.
Dumont d'Urville entama alors l'écriture
d'un rapport sur le voyage de l'Astrolabe, comportant douze volumes et
cinq albums, à la demande du gouvernement. Cette oeuvre fut achevée en
mai 1835. En septembre 1837, il quitta Toulon pour un nouveau périple, en
direction des océans méridionaux. Il avait souhaité effectuer ce voyage
afin de poursuivre des études ethnologiques et linguistiques, et
d'explorer davantage les régions pacifiques et polaires. Il partit avec
deux navires : l'Astrolabe, qu'il commandait, et La Zélée,
sous la commande du capitaine Charles-Hector Jacquinot. En 1840 il était
en Nouvelle-Zélande pour la troisième fois, du mois de mars jusqu'au
mois de mai, et explora les côtes antarctiques, découvrant la terre Adélie.
De retour en France en décembre 1840, Dumont
d'Urville fut promu au rang d'amiral, et reçut la plus haute distinction
de la Société de Géographie, dont il était l'un des membres
fondateurs. Il reçut également une commande du roi Louis-Philippe lui
demandant de publier un rapport de son voyage. Il écrivit les trois
premiers volumes du Voyage au Pôle sud et dans l'Océanie,
et avait achevé les trois premiers chapitres du quatrième lorsque, après
avoir bravé pendant plus de vingt ans tous les dangers de la mer, l'intrépide
navigateur périt avec son épouse dans un accident ferroviaire, entre
Bellevue et Meudon, le 8 mai 1842, au moment où il allait jouir du
fruit de ses longs travaux. Il avait enrichi la géographie et
l'hydrographie des nombreuses observations qu'il avait faites durant de
longues campagnes en mer.